Critère RSE : la décision du TA de Bastia confirme un assouplissement du juge
Une récente décision du tribunal administratif de Bastia a validé le recours à un critère RSE pondéré à 10% dans un contrat de concession visant à assurer la liaison maritime entre la Corse et le continent. Spécialiste du droit des contrats publics, Jacques Fournier de Laurière, président honoraire de la cour administrative d’appel de Paris, estime que l’arrêt apporte des précisions intéressantes pour mieux définir les limites de la légalité du critère RSE et qu’il est transposable aux marchés de travaux. Ses explications.
Quel est l’apport de cette décision ?
Jacques Fournier de Laurière : « En premier lieu, l’intérêt de cette décision tient à la rareté du jugement en question dans ce domaine et au caractère explicite de la question posée. En effet, l’une de questions posées concerne précisément la légalité du critère RSE pondéré à 10% utilisé dans la concession objet du contentieux. Le requérant considérait que ce critère n’avait aucun lien avec l’objet de la concession et qu’il était donc illégal. Mais le juge des référés a effectué une analyse précise des engagements demandés aux candidats et a considéré que le critère RSE « qui n’est pas étranger aux conditions d’exécution de la DSP, ne laisse pas à l’autorité concédante une marge de choix indéterminée et ne crée pas une rupture d’égalité entre les candidats ». Ainsi donc, ce critère est légal. »
Peut-on considérer qu’elle ouvre une brèche en matière de critères RSE ?
JFL : « Elle reste dans le droit fil de la décision du Conseil d’Etat qui fait référence en la matière (CE, 25 mai 2018, « Nantes Métropole », n°417580, publié au Recueil). mais elle apporte des précisions intéressantes qui peuvent être utiles à la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’aux entreprises pour mieux définir les limites de la légalité du critère RSE. Ainsi, pour être légal, outre le lien avec l’objet du marché, il faut que ce critère soit suffisamment précis pour ne pas laisser de marge de choix indéfinie à la personne publique et qu’il ne crée pas de rupture d’égalité entre les candidats. Il n’y a donc pas de brèche ouverte, mais la confirmation d’une souplesse accrue dans l’approche de cette question par le TA et des précisions de sa part. »
Peut-on imaginer que cette décision soit transposable à un marché public ?
JFL : « Oui, cette décision est transposable à un marché public et en particulier à un marché public de travaux. Il faut toutefois observer que les DSP se prêtent mieux à l’application du critère RSE du fait de leur durée plus longue. »
« Toutefois le règlement de consultation ne demandait pas une description générale et théorique de la politique RSE des soumissionnaires mais bien de préciser les mesures qui seraient spécifiquement mises en œuvre dans le cadre de l’exécution du contrat.«
En tant que spécialiste du droit, quel jugement portez-vous sur cette décision du TA de Bastia ?
JFL : « Il s’agit d’une décision qui vient conforter une vision très pragmatique du juge administratif en la matière dans le même sens qu’une décision du TA de Rennes en date du 21 mai 2019 -. Dans cette décision le TA a validé un critère du choix des offres portant sur » l’approche sociétale et de développement durable et la qualité des actions en faveur de l’environnement et de l’insertion. Toutefois le règlement de consultation ne demandait pas une description générale et théorique de la politique RSE des soumissionnaires mais bien de préciser les mesures qui seraient spécifiquement mises en œuvre dans le cadre de l’exécution du contrat. Il conviendra maintenant d’attendre la confirmation par le Conseil d’Etat de cette orientation. »
Le droit actuel, en matière de RSE, est-il trop déconnecté des préoccupations actuelles de la société ? Devrait-on assouplir son utilisation en tant que critère de sélection d’un contrat public ?
JFL : « De plus en plus d’acteurs de la commande publique souhaiteraient voir les conditions de prise en compte des critères RSE assouplies dans les marchés publics. Mais il faut rappeler que cette évolution ne peut pas provenir d’une évolution jurisprudentielle car le Conseil d’Etat, dans sa décision du 25 mai 2018, s’est contenté d’appliquer strictement la législation en vigueur.
Une évolution en la matière passera nécessairement par une modification du code de la commande publique, tout en restant compatible avec la directive marchés publics du 26 février 2014. Enfin, en termes d’opportunités, l’utilisation de critères RSE, sans lien direct avec le marché concerné, risquerait d’ouvrir la voie à la mise en œuvre de critères trop idéologiques et donc, par définition, subjectifs dans leur application. Il sera donc nécessaire de mettre en place une procédure qui ouvre la prise en compte du critère RSE dans les contrats publics, tout en conservant le caractère objectif de ce critère dans l’analyse des candidatures. »
TA de Bastia, 20 juillet 2022, n°2200797
Propos recueillis par EGF